Le petit copain – Donna Tartt

Voici six cent pages d’un roman qui vous emporte au rythme du Mississippi à la rencontre d’un personnage haut en couleurs, la jeune Harriet.

Dans un état proche du sud des Etats-Unis, au fin fond du Mississippi, nous suivons Harriet, jeune fille de douze ans, au milieu de sa famille, sa grand-mère, ses grands tantes, sa sœur et sa mère. Depuis sa plus tendre enfance, elle vit avec le souvenir de Robin, son frère ainé qui a été retrouvé pendu lors d’une fête familiale alors qu’il n’avait que neuf ans. Au milieu de ce drame, il va falloir qu’elle se construise et qu’elle s’affirme. Sa mère s’est réfugiée dans la douleur qu’elle soigne à coup d’antidépresseurs, sa sœur s’est échappée dans le rêve, ses grands tantes dans les souvenirs des splendeurs passés de la famille Clève et sa grand-mère régente tout.

Harriet va puiser dans les romans d’aventure son énergie et la la volonté de s’en sortir. Elle admire les hommes et femmes d’action : Jeanne d’arc, Sherlock Holmes et surtout Harry Oudini le maître de l’évasion.

Anti conformiste au milieu d’une société baptiste ultra religieuse, elle va intuitivement réaliser que son seul salut consistera à retrouver le meurtrier de son frère. « Ce qu’elle voulait. C’était ramener son frère auprès d’elle. Et ensuite, découvrir qui l’avait tué ». Aidé par Hely son jeune ami secrètement amoureux d’elle, elle va mener son enquête et sa quête afin de grandir sans y laisser trop de plumes.

Autant le dire tout de suite, c’est un grand roman que nous propose Donna Tartt. Il illustre parfaitement la vie américaine dans les années 70 dans un état conservateur ou le poids du passé transpire dans toutes les habitudes de vie et qui semble figé dans les années 30. J’ai mis un temps fou à essayer de dater ce roman, accumulant les petits indices comme dans un jeu de piste pour progresser dans le temps. J’ai commencé dans les années 30 en pensant à Steinbeck et puis les Stones sont arrivés et enfin les marques de voitures m’ont bien aidé pour arriver au milieu des années 70.

C’est un roman que l’on devine parfois autobiographique ( Donna Tartt est-elle une petite brune aux yeux verts ?) et donc parfois intimiste, l’auteur y déroule sa pelote de pages pour nous faire découvrir et ressentir le temps qui passe et qui heurte de plein fouet cette jeune fille rebelle qui au fond ne sait pas vraiment ce qu’elle veut.

Partagée entre le désir d’être aimée et ne pas trop se livrer, elle voudrait tout simplement exister au milieu de cet univers de femmes qui l’étouffent un petit peu. Prisonnière et de sa famille et  de l’ambiance provinciale elle peine à prendre son envol. Harriet s’échappe grâce aux photographies familiales  » le monde onirique qu’elles lui laissaient entrevoir était magique, souverain, inatteignable ». « Les photographies enchantaient Harriet. Elle souhaitait plus que tout s’échapper du monde qu’elle connaissait pour se glisser dans leur clarté fraiche et bleutée, ou son frère était vivant, ou la belle maison était encore debout, ou tout le monde était toujours heureux. » Mais si elle veut s’épanouir, elle le sait au fond d’elle même, elle va devoir choisir et faire des concessions. Pour ne pas finir comme le merle du roman, oiseau chanteur par excellence se retrouvant prisonnier de la chaussée, l’aile englué par le goudron qui à fondu à cause de la chaleur excessive. Allison, l’ainé  demande à sa sœur de bien vouloir le libérer et Harriett ne peux que lui arracher l’aile. Le merle meurt.Tous les personnages semblent ainsi englués par la pesanteur et la moiteur de ce vieil état des Etats Unis. Les noirs ne parviennent pas vraiment à s’émanciper, les vieux habitants sont nostalgiques, les nouveaux lotissements dépérissent. Que devenir quand la pesanteur vous retiens cloué au sol semble dire Dona Tartt à travers Harriett ?

Sans vraiment d’exemple à suivre, sans père, sans vraiment de mère, Harriet doit se construire presque toute seule. Puisqu’elle n’a pas la chance d’être Hely, son petit copain, qui « vivait dans un monde exubérant, chaleureux, coloré ou tout était moderne et lumineux, les chips de maïs, le ping pong, la stéréo et les sodas, sa mère en tee shirt et jean coupé courant pieds nus sur la moquette » mais qu’elle erre dans « sa propre demeure, obscure, chargée de souvenirs malodorants, qui dégageaient de tristes effluves de poussière et de vieux vêtements » elle va devoir se battre. Ces combats laisseront toujours des cicatrices au fond de son cœur, c’est le prix de sa liberté de pensée. Alors s’il faut un coupable idéal pour le meurtre de son frère, elle le trouvera, aussi horrible fut-il et elle entrainera tout le monde dans son sillage, pour le meilleurs et pour le pire.

Un saisissant portrait à découvrir. Donna Tartt est un grand auteur américain, définitivement.

Le petit copain – Donna Tartt

traduction Anne Rabinovitch, tire vo :the Little Friend_

Ed Plon – ISBN : 2-259-19817-1, nov 2003

en poche (Pocket) octobre 2004

il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman qui le mérite, Lily à bien aimé, Rose aussi dans d’autres registres que moi , Karine 🙂 s’est endormie lors de sa lecture moi j’en rêve encore mais c’est normal je suis un garçon ;-).