Poussière tu seras- Sam Millar

Belfast et ses environ.

Il y a Adrian Calvert un adolescent qui trouve un ossement dans la forêt de Barton. Il y a Jack Calvert son père, ancien policier brillant de Belfast, reconverti détective et peintre talentueux à ses heures perdues qui pleure la perte de son épouse. Il y a les barbiers Joe Harris et Jérémiah Grazier qui emploient toujours le coupe choux et le savon à barbe à l’ancienne, garants de la mémoire de Belfast. Il y a les poids de l’histoire de l’Irlande du nord, les cicatrices à peine refermées, la rancœur juste enfouie au fond des gabardines.

Et puis Adrian disparait au cœur de l’hiver. Jack se réveille et va retourner ciel et terre pour retrouver son fils. Mais que va t-il retrouver ? Qu’est ce qui se cache derrière ce petit ossement ?

Tout un cortège d’ombres vont réapparaitre, certaines sont plus anciennes que d’autres mais qui marquent toujours l’horizon de l’Irlande.

Âmes sensibles s’abstenir !  Sam Millar ne fait pas dans la dentelle. Tout est un peu dur, âpre à la limite parfois du cruel. Certaines scènes un peu crues sont à lire en serrant les dents. Voici longtemps que je n’avais pas été aussi bousculé à la lecture de certains chapitres. Le style est simple et direct comme un uppercut en pleine figure. On sent intuitivement que Millar sait ce que souffrir veut dire et son écriture fonctionne comme une thérapie purificatrice. Pas de posture gratuite ou de condescendance, la vie est dure et cruelle, nul besoin d’enjoliver la vérité. L’Irlande est un pays magnifique et accueillant mais la nature sauvage et les traditions renferment parfois la sauvagerie la plus abjecte et la noirceur la plus insupportable. Un beau roman d’un auteur à découvrir.

Comme j’ai particulièrement apprécié les têtes de chapitres qui mettaient par fois un petit brin de poésie dans ce livre, je vous en met quelques unes :

  • Ch 8 « Comme le chien retourne à ce qu’il a vomi, le sot retourne à sa folie (Prov 26,11)
  • ch 17  » c’est par le rasoir du barbier qu’il est soumis ( Sweeney todd Milton, Samson Agoniste)
  • Ch 6 « Malheureux celui dont les souvenirs d’enfance ne sont que peur et tristesse » (HP Lovercraft, je suis d’ailleurs)
  • et mon préféré : Ch ? « Les artistes apportent au monde quelque chose qui n’existait pas avant …et ils le font sans rien détruire d’autre »(John Updike, Writers at work)

Poussière tu seras – Sam Millar ( trad Patrick Raynal)

titre en vo : The darkness of the bones

300 pages- Fayard Noir- Mai 2009- ISBN = 978-2-213-63530-9

Le petit copain – Donna Tartt

Voici six cent pages d’un roman qui vous emporte au rythme du Mississippi à la rencontre d’un personnage haut en couleurs, la jeune Harriet.

Dans un état proche du sud des Etats-Unis, au fin fond du Mississippi, nous suivons Harriet, jeune fille de douze ans, au milieu de sa famille, sa grand-mère, ses grands tantes, sa sœur et sa mère. Depuis sa plus tendre enfance, elle vit avec le souvenir de Robin, son frère ainé qui a été retrouvé pendu lors d’une fête familiale alors qu’il n’avait que neuf ans. Au milieu de ce drame, il va falloir qu’elle se construise et qu’elle s’affirme. Sa mère s’est réfugiée dans la douleur qu’elle soigne à coup d’antidépresseurs, sa sœur s’est échappée dans le rêve, ses grands tantes dans les souvenirs des splendeurs passés de la famille Clève et sa grand-mère régente tout.

Harriet va puiser dans les romans d’aventure son énergie et la la volonté de s’en sortir. Elle admire les hommes et femmes d’action : Jeanne d’arc, Sherlock Holmes et surtout Harry Oudini le maître de l’évasion.

Anti conformiste au milieu d’une société baptiste ultra religieuse, elle va intuitivement réaliser que son seul salut consistera à retrouver le meurtrier de son frère. « Ce qu’elle voulait. C’était ramener son frère auprès d’elle. Et ensuite, découvrir qui l’avait tué ». Aidé par Hely son jeune ami secrètement amoureux d’elle, elle va mener son enquête et sa quête afin de grandir sans y laisser trop de plumes.

Autant le dire tout de suite, c’est un grand roman que nous propose Donna Tartt. Il illustre parfaitement la vie américaine dans les années 70 dans un état conservateur ou le poids du passé transpire dans toutes les habitudes de vie et qui semble figé dans les années 30. J’ai mis un temps fou à essayer de dater ce roman, accumulant les petits indices comme dans un jeu de piste pour progresser dans le temps. J’ai commencé dans les années 30 en pensant à Steinbeck et puis les Stones sont arrivés et enfin les marques de voitures m’ont bien aidé pour arriver au milieu des années 70.

C’est un roman que l’on devine parfois autobiographique ( Donna Tartt est-elle une petite brune aux yeux verts ?) et donc parfois intimiste, l’auteur y déroule sa pelote de pages pour nous faire découvrir et ressentir le temps qui passe et qui heurte de plein fouet cette jeune fille rebelle qui au fond ne sait pas vraiment ce qu’elle veut.

Partagée entre le désir d’être aimée et ne pas trop se livrer, elle voudrait tout simplement exister au milieu de cet univers de femmes qui l’étouffent un petit peu. Prisonnière et de sa famille et  de l’ambiance provinciale elle peine à prendre son envol. Harriet s’échappe grâce aux photographies familiales  » le monde onirique qu’elles lui laissaient entrevoir était magique, souverain, inatteignable ». « Les photographies enchantaient Harriet. Elle souhaitait plus que tout s’échapper du monde qu’elle connaissait pour se glisser dans leur clarté fraiche et bleutée, ou son frère était vivant, ou la belle maison était encore debout, ou tout le monde était toujours heureux. » Mais si elle veut s’épanouir, elle le sait au fond d’elle même, elle va devoir choisir et faire des concessions. Pour ne pas finir comme le merle du roman, oiseau chanteur par excellence se retrouvant prisonnier de la chaussée, l’aile englué par le goudron qui à fondu à cause de la chaleur excessive. Allison, l’ainé  demande à sa sœur de bien vouloir le libérer et Harriett ne peux que lui arracher l’aile. Le merle meurt.Tous les personnages semblent ainsi englués par la pesanteur et la moiteur de ce vieil état des Etats Unis. Les noirs ne parviennent pas vraiment à s’émanciper, les vieux habitants sont nostalgiques, les nouveaux lotissements dépérissent. Que devenir quand la pesanteur vous retiens cloué au sol semble dire Dona Tartt à travers Harriett ?

Sans vraiment d’exemple à suivre, sans père, sans vraiment de mère, Harriet doit se construire presque toute seule. Puisqu’elle n’a pas la chance d’être Hely, son petit copain, qui « vivait dans un monde exubérant, chaleureux, coloré ou tout était moderne et lumineux, les chips de maïs, le ping pong, la stéréo et les sodas, sa mère en tee shirt et jean coupé courant pieds nus sur la moquette » mais qu’elle erre dans « sa propre demeure, obscure, chargée de souvenirs malodorants, qui dégageaient de tristes effluves de poussière et de vieux vêtements » elle va devoir se battre. Ces combats laisseront toujours des cicatrices au fond de son cœur, c’est le prix de sa liberté de pensée. Alors s’il faut un coupable idéal pour le meurtre de son frère, elle le trouvera, aussi horrible fut-il et elle entrainera tout le monde dans son sillage, pour le meilleurs et pour le pire.

Un saisissant portrait à découvrir. Donna Tartt est un grand auteur américain, définitivement.

Le petit copain – Donna Tartt

traduction Anne Rabinovitch, tire vo :the Little Friend_

Ed Plon – ISBN : 2-259-19817-1, nov 2003

en poche (Pocket) octobre 2004

il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman qui le mérite, Lily à bien aimé, Rose aussi dans d’autres registres que moi , Karine 🙂 s’est endormie lors de sa lecture moi j’en rêve encore mais c’est normal je suis un garçon ;-).

La traversée du Mozambique par temps calme

La traversée du Mozambique par temps calme de Patrice Pluyette.

Je n’avais jamais entendu parler de ce livre. Je découvre après sa lecture qu’il a été nominé pour les prix Goncourt et Médicis rien de moins mais soyons franc ce n’est point ceci qui m’a motivé pour cette lecture, mais plutôt l’avis de quelqu’un qui m’est cher et m’a tendu ce livre en me disant « tiens ça risque de te changer des polars et des livres SF que tu lis habituellement »

J’ai donc entamé ce livre en Candide sans être plus inspiré que cela par le titre mais un peu curieux quand même. Très rapidement le style vous surprend. On reprend les phrases à deux fois en se disant : tiens je n’ai pas souvent croisé cette façon d’écrire. Mélange d’érudition et de phrases simples avec un travail très prononcé sur leur musicalité. Mais une musicalité non classique plutôt dissonante et légèrement grinçante. Des phrases en vrac avec un gout prononcé pour l’absurde parfois.

Mais revenons au roman. Le capitaine Balalcazar monte une expédition à destination de la fabuleuse ville de Païtiti, terre chérie qui croule sous l’or perdu des incas. Pour l’aider dans cette expédition il s’adjoint l’aide de deux frères indiens Negook et Hug-Gluq anciens chasseurs d’ours,celle de Fontaine une cuisinière amoureuse de lui et Malebosse la navigatrice. Un équipage de bric et de broc qui va traverser l’Atlantique cap sur l’amérique du sud pour se retrouver dans le grand nord glacé au détour d’aventures plus rocambolesques les unes que les autres. Iront-ils au bout de leur périple ?

Nous nous rendons vite compte que cela importe peu. Ou plutôt que même si aventure il y a (et les références au roman d’aventure y sont nombreuses) elle semble plus participer au plaisir de l’écriture qu’être le réel moteur de ce roman. Les lieux sont justes des  prétextes pour les mots savants, les tournures particulières, les images détournées, etc.

C’est brillant il est vrai mais parfois tellement chargé que l’intrigue disparait sous l’amoncellement d’adjectifs variés. Mais là est peut-être le seul but de l’auteur ou plutôt le piège dans lequel il s’enlise peu à peu. C’est comme la nougatine, c’est craquant, brillant, sucré, colle aux dents et l’overdose est fatale. Alors à recommander aux adeptes des sucreries ?

Impossible de le dire, mais pou ma part, j’avoue que les dernières pages me sont restées un peu sur l’estomac et que j’ai eu un peu de mal à terminer ce roman dont l’intrigue s’effilochait. Je garde néanmoins en mémoire des moments très agréables de lecture de cette traversée du Mozambique par temps calme,  roman résolument difficile à classer entre aventure, burlesque et envie de trop en faire.

DédaleKeisha , Julien ont bien aimé

La traversée du Mozambique par temps calme de Patrice Pluyette, 316 pages, 2008, Ed du seuil

ISBN : 9782020945769